Choisir son approche projet

Bienvenue dans ce troisième épisode de notre série sur la pédagogie par projet. Aujourd’hui, on rentre dans le vif du sujet en voyant différents types de projet, et en posant au centre la question de l’intention pédagogique.

Comme précédemment, vous avez le choix entre nous écouter au format podcast, ou nous lire un peu plus bas.

Bonne réflexion !

Dans les épisodes précédents, on a évoqué pourquoi il était nécessaire de rendre nos apprenants adaptables et de les aider à faire face à des situations inconnues. On a ensuite évoqué ce que cela impliquait comme posture - pour le formateur et pour l’apprenant.

Aujourd’hui, on va rentrer dans le concret en identifiant les différents types de projets que l’on peut mettre en place.

Parce que derrière le terme “projet” on peut avoir des réalités très différentes ! Il suffit de demander à d’autres pédagogues autour de vous ce qu’est un projet, et vous verrez que tout le monde met quelque chose de différent derrière le mot.

Par exemple, pour l’obtention d’un titre professionnel, ce qu’on appelle projet n’en est pas forcément un. On présente au jury un livrable professionnel qu’on appelle projet, mais rien n’oblige à ce qu’il ait été réalisé en mode projet.

Mode Pekin express ou tour organisé ?

Si vous voulez, la différence entre un livrable réalisé en mode projet et un livrable réalisé en mode très dirigé, c’est un peu la différence entre un voyage réalisé en mode Pekin Express et un voyage organisé par un tour opérateur.

Si vos apprenants partent en Inde en mode Pekin Express ou avec un tour organisé, ils auront une expérience très, très différente.

S’ils sont en mode Pekin Express, ils vont certes perdre du temps, rater des trains et se tromper plusieurs fois, mais ils vont vraiment apprendre à se débrouiller, ils vont vraiment devenir adaptables.

S’ils sont en mode tour organisé, ils vont faire tout ce qu’il faut, dans l’ordre où il faut, et avec un bon niveau de performance, mais pour leur prochain voyage ils seront de nouveau obligés de faire appel à vous.

Exemple : la réalisation un podcast

Prenons l’exemple de la réalisation d’un podcast.

En mode Pekin Express, vous allez dire à vos apprenants :

“Vous devez réaliser un podcast de 10 épisodes sur le thème de votre choix. Vous pouvez avoir des invités ou des collaborations si vous voulez. Vos épisodes ne doivent pas faire moins de 5 minutes, sauf si vous pouvez le justifier vis-à-vis de votre public ou votre stratégie de diffusion. Bon courage !”

Il y a un petit côté “démerdez-vous et bonne chance” - même si, bien sur, derrière vous êtes là à chaque étape pour coacher et remobiliser.

De l’autre côté, si vous êtes en mode tour opérateur, vous allez dire à vos apprenants :

“Vous allez réaliser un podcast de 10 épisodes sur la thème de l’écologie. Nous vous dirons semaine par semaine comment procéder. La première semaine, nous travaillerons en grand groupe sur la cible du podcast. Nous vous donnerons des procédures à suivre pour identifier les thèmes de vos épisodes. Le matériel d’enregistrement vous sera mis à disposition ainsi qu’un technicien sur des horaires dédiés. Nous vous aiderons à exécuter toutes les étapes d’un podcast réussi “

Là, on est sur un cadre très sécurisant, où toutes les décisions sont encadrées.

Exploration vs Efficacité

En fait, on peut visualiser tout ça par un trait d’horizon avec deux polarités extrêmes.

A un extrême, tout à gauche, vous visez l’exploration pure. C’est le mode Pekin Express, sans filet. Vous fixez un objectif minimal et les étudiants vont se débrouiller pour aller chercher les ressources. Ils vont faire face à beaucoup de questions et d’incertitudes, et vous, vous allez surtout avoir une position de coach qui les aide à clarifier ce qui est en jeu à chaque difficulté.

A l’autre extrême, tout à droite, vous visez l’efficacité du projet. Du projet, oui, mais de manière chirurgicale, où vous maîtrisez complètement l’espace problème, où vous assurez un certain standard de qualité, où vous avez préparé des ressources et des évaluations pour aider les apprenants à réguler leur activité.

Quel système adopter ?

Tout va dépendre de vos apprenants et de votre intention.

Si vous travaillez avec des adolescents ou sur un programme de leadership, vous allez sans doute privilégier l’exploration. Votre choix de livrable est potentiellement infini. Vous pouvez leur demander d’organiser une journée de conférence, de faire une exposition thématique, ou de réaliser un podcast ou un documentaire… Le projet va être vu avant tout comme un apprentissage de l’autonomie et donc on va se concentrer sur le processus, pas sur la qualité technique du livrable. Le projet est le prétexte au développement des soft skills et de l’adaptabilité.

A l’inverse, quand on utilise une approche projet sur une formation professionnalisante, il y a un enjeu d’efficacité - il y a des financeurs derrière qui y veillent - et de respect des standards du métier. Donc on va mettre en place une séquence de projets de complexité croissante, qui vont permettre d’acquérir des compétences de plus en plus poussées. Par exemple, pour des étudiants en développement web, on va leur demander d’abord de faire une page web simple, puis un petit site vitrine, puis une petite application web qui va afficher la météo, puis un site comme Amazon.

Là on va plus se concentrer sur le livrable, on va moins les laisser se perdre et on va transmettre des modes de pensée efficaces.

Les études de médecine aussi sont très représentatives de cette approche - plus par nécessité que par philosophie. Un cabinet c’est un milieu complexe où il faut coordonner à la fois la relation humaine, le diagnostic, et les solutions possibles, en un temps record ! Les pédagogues en médecine ont développé des approches vraiment chirurgicales - c’est le cas de le dire - où ils identifient très précisément ce qui doit être transmis par cœur, et ce qui doit être travaillé dans l’incertitude pour que les apprenants développent leur flexibilité.

Si cette approche très précise de l’apprentissage des situations complexes vous intéresse, je vous recommande le livre “Ten Steps to Complex Learning” (van Merriënboer & Kirschner, 2007) qui détaille vraiment ce processus d’ingénierie chirurgicale.

Dans l’absolu, il n’y a pas une approche projet plus légitime que l’autre.

Comme toujours en pédagogie, tout dépend de votre intention.

Selon ce que vous voulez faire vivre comme émotions et ce que vous voulez développer comme réflexes chez vos apprenants, vous privilégierez plutôt le mode Pekin Express ou le mode tour opérateur !

Mathieu Mahé

Co-fondateur & spécialiste Tech

Le mot du développeur

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- Mathieu