Bienvenue dans cette série d’articles consacrée à la pédagogie par projet. Dans quels cas utiliser une pédagogie par projet ? Comment ça marche ? Quels écueils éviter ?
Nous allons ensemble voir des exemples, nous échanger des conseils, disséquer la théorie pour comprendre comment ça marche… Bref, nous allons construire notre réflexion autour de la pédago par projet pour nous l’approprier !
Vous avez le choix entre nous écouter au format podcast, ou nous lire un peu plus bas.
Bonne réflexion !
Mais avant de rentrer dans la question du “comment”, posons nous la question du “pourquoi”. Pourquoi est-ce qu’il est nécessaire, aujourd’hui, de s’approprier ce type de pédagogie ?
J’ai titré l’article “La pédagogie par projet, réponse aux enjeux du 21e siècle”, mais en réalité je n’y crois pas trop.
Qu’est-ce qu’il aurait de si spécial, ce 21e siècle, pour qu’on doive apprendre à agir en rupture avec toute l’histoire de l’humanité ?
En fait, ces enjeux d’adaptation au 21e siècle nous paraissent inédits dans l’histoire de l’humanité parce qu’on est limités par notre propre expérience. Mais c’est oublier que nos ancêtres aussi ont eu leurs propres enjeux et leurs propres défis.
L’humanité a traversé de nombreuses crises et s’est réinventée de multiples fois tout au long de son histoire, avec des variations selon les cultures, selon les régions. De tout temps l’humain a dû faire face à des bouleversements de son environnement et a réussi à s’adapter.
L’éducation sous l’ère industrielle
Non, le problème c’est plutôt qu’on s’est englués, depuis la révolution industrielle, dans certains modes de pensée. S’adapter, c’est une compétence qu’on a perdue de vue.
Depuis la révolution industrielle, ce sont les progrès techniques qui donnent le ton. Par progrès techniques on n’entend pas que les machines - il y a aussi les protocoles, les organisations, les algorithmes… la médecine, par exemple, est en train de devenir un domaine très technique où tout est classé, organisé, diagnostiqué par des algorithmes.
L’objectif de cette technique, c’est d’atteindre la performance en évitant les erreurs. On uniformise la pratique de tous les professionnels pour éviter l’erreur humaine. On peut dire qu’on optimise l’activité humaine comme on optimiserait le fonctionnement d’une machine à laver ou d’un ordinateur.
Le problème, c’est que plus on optimise, et moins on laisse de liberté à chaque praticien dans son métier. On est passé d’une société d’artisans à une société de techniciens.
L’artisan contre le technicien
La différence entre l’artisan et le technicien est pourtant essentielle à la question de l’adaptabilité. L’artisan, c’est celui à qui on donne une boîte à outils et qui va savoir s’en servir dans plein de situations différentes. Il va être capable de faire des choix parce qu’il aura utilisé son marteau ou son tournevis par le passé, de manière créative, dans différentes situations. Sa créativité humaine lui permettra d’adapter l’outil à ses besoins.
Le technicien, lui, va avoir un outil précis et optimisé pour chaque situation. Il n’est plus capable de s’adapter. Ce n’est plus lui qui détient la connaissance. La connaissance est possédée par celui qui a créé l’outil, et qui l’a optimisé pour une situation donnée. Le technicien n’est pas en mesure de s’adapter dans une situation s’il n’a pas le bon outil. Lui-même n’est là que pour manipuler l’outil, il n’y a pas d’adaptation.
Sauf qu’après près d’un siècle à développer des techniciens, on en vient maintenant à des progrès techniques qui sont tellement rapides et vertigineux, que le technicien ne peut plus se contenter de perfectionner son geste.
De fait, il doit changer régulièrement de geste, parce qu’on lui change régulièrement ses outils. Il doit développer en permanence de nouvelles compétences, parce qu’on ne lui garantit plus un environnement industriel stable. C’est comme s’il changeait d’industrie tous les ans. Il ne peut plus se former une fois pour toutes. Il doit se former en continu.
Et c’est sans compter sur les défis civilisationnels qu’il va falloir résoudre tout au long du 21e siècle. Le technicien, il ne fait plus seulement face à des mutations de son travail. Il va faire face - on va tous collectivement faire face - à des transitions sociétales, écologiques, sociologiques.
L’évolution du technicien au 21e siècle
Donc c’est fini, le technicien ne peut plus être que technicien.
Avoir une carte du monde figée et optimisée pour un certain environnement ne suffit plus.
Le technicien doit devenir autre chose. Il doit redécouvrir sa part d’artisan.
Il doit apprendre à faire face à l’incertitude et aux environnements inconnus. Il doit apprendre à évoluer, à s’adapter, il doit apprendre à apprendre. Et il doit aussi redécouvrir son pouvoir d’agir, pour qu’on puisse transitionner vers une société plus locale et plus participative.
Et tout cela, ça implique évidemment qu’on change la manière dont on forme nos citoyens.
Pour qu’ils puissent faire face aux défis à venir, on ne peut plus se contenter de leur donner des formules toutes faites.
Faire table rase du passé ?
Alors, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : il va rester des choses que l’on transmet directement.
On ne va pas demander à nos apprenants de réinventer la roue tous les jours ; certaines connaissances et compétences ne nécessitent pas une grande flexibilité. Disons qu’il n’y a pas des dizaines de manière de monter des œufs en neige ou de faire ses lacets. De la même manière, certains apprentissages, certains gestes, ont intérêt à être le plus efficace possible.
Et d’ailleurs on explorera tout au long de la série les limites de l’approche projet. On verra les cas où elle est pertinente, où elle sert nos objectifs, versus les cas où d’autres méthodes sont plus adaptées.
Mais si l’on veut former des forces vives pour la société de demain, il va falloir aller au-delà du système classique.
Il ne faut plus simplement apprendre ce que faisaient les gens avant nous, il faut apprendre ce qui n’existe pas encore ! Il faut apprendre précisément ce qui est hors des manuels !
Et ça, ça implique de re-développer ces compétences d’adaptabilité et de collaboration que nous avons perdues de vue.
Et c’est pour ça que l’on va faire appel à une pédagogie par projet.
C’est pour apprendre l’adaptabilité, la collaboration, la créativité.
C’est pour permettre à chacun de s’épanouir dans un monde de chaos et d’incertitude.
On se retrouve dans le prochain épisode pour parler du changement de posture que cela implique, côté apprenants et côté formateurs !
Les idées-clefs
- Le système éducatif de l’ère industrielle vise à transmettre des connaissances historiques, préexistantes. Il vise la reproduction de schémas d’action et de pensée créés dans le passé.
- Mais l’on est face à des défis sociaux, démocratiques et environnementaux qui nécessitent de s’adapter et d’inventer de nouvelles manières de faire.
- Il faut donc développer ces fameuses compétences “du 21e siècle” qui vont nous permettre d’être adaptables face à l’inconnu.
- L’adaptabilité, la collaboration, la créativité - ne peuvent pas être transmises, parce qu’elles touchent à notre rapport au monde. Elles ont besoin d’être développées par l’apprenant.
- Tout cela passe par une remise en question de l’acte d’apprendre, du rôle de l’apprenant et de la posture du formateur.