Voici l’épisode 2 d’une série d’articles consacrée à la pédagogie par projet. Si vous avez manqué le premier épisode, il parlait de la pédagogie par projet comme réponse aux enjeux du 21e siècle.
Vous avez le choix entre nous écouter au format podcast, ou nous lire un peu plus bas.
Bonne réflexion !
Alors, on disait dans le 1er épisode qu’on allait utiliser une pédagogie par projet pour aider nos apprenants à développer leur pouvoir d’agir et leur adaptabilité.
Justement, ça implique quoi, d’agir et d’être capable de s’adapter ?
Ça implique d’être capable d’analyser la situation et de prendre des décisions même lorsqu’on ne maîtrise pas tout, même lorsqu’on est dans l’incertitude.
Et ça, on ne l’apprend pas en étant dans des situations où on nous dit quoi faire !
La prise de décision, ça se pratique. Entre autres parce qu’elle est fortement liée à nos émotions. Ça, c’est les dernières recherches en neurosciences affectives, de Damasio et d’Immordino-Yang notamment, qui nous le disent.
Ces recherches nous orientent sur le fait que c’est l’émotion qui guide la prise de décision. Même pour nos activités intellectuelles, même notre logique, est guidée par nos émotions. Et nos émotions sont liées à quoi ? A nos expériences, à notre culture, à nos valeurs.. Il faut bien prendre conscience que notre esprit logique n’est pas dissociable de notre corps et de nos émotions, ni de nos expériences.
C’est pour ça qu’on apprend à prendre des décisions quand on est face à des situations concrètes, avec toute leur complexité et leur charge émotionnelle, et qu’on ne peut pas nous transmettre une compétence de prise de décision.
Comme un capitaine de navire qui évalue dans quelle direction il faut aller, il faut prendre des décisions en situation, les vivre avec nos émotions, vivre leurs conséquences, et ajuster petit à petit la barre du navire. Si on veut atteindre la capacité à prendre des décisions en milieu inconnu, en tout cas.
Donc il faut accepter de laisser l’étudiant errer et faire des erreurs.
S’il doit prendre une décision, il faut que celle-ci puisse être la mauvaise, qu’il vive les conséquences de sa mauvaise décision, et qu’à la fin tout le monde soit OK pour considérer ça comme un apprentissage et pas comme un échec.
C’est le contrat moral en pédagogie par projet : je te donne une tâche complexe à faire, tu vas prendre des décisions, et si tu prends une décision qui a des conséquences négatives je ne vais pas te le reprocher, je vais t’aider à y faire face et à la debriefer pour que tu ajustes dans le futur.
D’où l’intérêt d’avoir une approche formative et pas une approche sommative. L’approche par compétences prend là aussi tout son intérêt.
Une compétence, si elle n’est pas encore pleinement développée, est en cours de développement. Il n’y a pas de sanction du niveau actuel, il est toujours possible de s’améliorer après. Une compétence en cours d’acquisition, c’est une promesse d’un avenir meilleur.
Bon, ayant dit tout ça, et pour parler vraiment du sujet du jour, quels sont les rôles de l’apprenant et du formateur, en pédagogie par projet ?
Je vais vous donner ma vision des choses.
Que doit faire le formateur ?
Définir l’espace-problème
Le formateur, d’abord, il est responsable de la définition de l’espace problème.
C’est quoi un espace problème ? Imaginez une pièce blanche, complètement vide. Juste des grands murs blancs lisses, un sol blanc et propre. Du blanc à perte de vue. Maintenant imaginez la même pièce mais avec un lit défait, une armoire qui déborde, un bureau couvert de papiers et d’assiettes et une bibliothèque en bazar.
Et je vous demande de ranger les deux pièces.
Bah voilà, l’espace problème c’est ça. C’est le nombre de paramètres qu’il faut prendre en compte pour répondre au problème. S’il n’y a rien dans la pièce, l’espace problème est super simple, il n’y a aucun paramètre à prendre en compte. Si la pièce c’est le bordel absolu, l’espace problème est complexe, je suis obligé de prendre plein de paramètres en compte pour régler le problème.
Et donc, le formateur est responsable de cet espace-problème.
C’est lui qui décide de la complexité du projet, en fonction de ce qu’il veut que les étudiants soient capables d’accomplir ou du chemin de réflexion qu’il essaie de leur faire prendre.
Être le garant des standards de pratique
Il détermine aussi les standards. C’est lui qui communique les standards de la communauté de pratique. On a beau apprendre aux étudiants à être adaptables, leur futur métier aura des règles, une culture, parce qu’il y a une communauté de praticiens derrière. Donc il faut que les étudiants apprennent à se comporter comme des professionnels pour s’adapter à leur environnement.
Mettre en place un cadre de sécurité
Le formateur est aussi responsable de mettre en place un environnement qui accueille l’erreur et laisse de la place à l’inattendu, à l’émergent. Il faut être capable de créer un cadre de sécurité pour que l’apprenant s’autorise à essayer alors qu’il ne sait pas tout, et qu’on lui a toujours dit qu’il ne fallait pas être ignorant ni se tromper. Ça demande du courage et une vraie relation de confiance avec le formateur.
Animer le projet
Enfin, il est responsable des process pendant le projet, de s’assurer que les étudiants ont des opportunités d’échanger et de se remobiliser. Un projet en formation, ça se fait vivre, ça s’anime ! Parce qu’un projet des fois ça n’a aucun résultat concret pendant des jours, des semaines, et que les étudiants peuvent se décourager.
Ça, c’était pour le rôle du formateur.
Et l’apprenant dans tout ça ?
Maintenant, en face, c’est quoi le rôle de l’apprenant ?
S’engager pleinement & expérimenter
L’apprenant en pédagogie par projet, il a beaucoup de responsabilités sur les épaules. S’il ne fait rien, s’il ne s’engage pas pleinement dans le projet, il ne se passe rien. C’est un retournement complet de la situation où on peut se présenter en formation et vivoter si on se met dans un coin et qu’on répond mollement aux injonctions quand elles se présentent.
En pédagogie par projet, si on veut apprendre, on est obligé d’y mettre beaucoup d’énergie.
C’est pour ça que la relation de confiance et de sécurité avec le formateur est essentielle. Il faut pouvoir rassurer sur le fait que toute cette énergie investie ne va pas sauter à la tronche de l’apprenant, il faut le rassurer sur le fait que ses efforts vont être reconnus et soutenus.
Et donc, l’apprenant, il est responsable d’aller au contact avec les problèmes du projet, il doit tenter des actions pour résoudre ces problèmes, vivre la réponse de l’environnement et interpréter ce qu’il perçoit de cette réponse.
C’est la fameuse boucle de perception et d’action qui caractérise l’apprentissage du vivant. J’agis, je perçois, j’agis, je perçois. Ce que je perçois guide mon action, et l’environnement - et donc mes perceptions - modifie mon action.
Gérer ses émotions
Tout cela, ça remue beaucoup ! L’apprenant va vivre beaucoup d’émotions en pédagogie par projet, pas toutes positives. Il va faire face à de l’incertitude, à de l’inconnu, potentiellement à du conflit dans son travail collaboratif. Il faut qu’il soit ouvert à tout cet aspect émotionnel du travail, qu’il soit OK pour accueillir ces émotions, pour apprendre à les comprendre et à composer avec.
Et donc on en revient une nouvelle fois à la nécessité d’établir une relation de confiance avec le formateur et d’avoir un cadre de sécurité où l’erreur est pleinement accueillie.
Voilà un peu pour la posture de notre apprenant et de notre formateur en pédagogie par projet.
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Dans le prochain épisode, on va voir des exemples de projets pour commencer à se projeter sur des cas concrets. A très vite !