Faire face aux critiques de la pédagogie par projet

Laurie Mezard
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Bienvenue dans ce 5e épisode où l’on va parler des critiques de la pédagogie par projet.

Comme précédemment, vous avez le choix entre nous écouter au format podcast, ou nous lire un peu plus bas.

Bonne réflexion !

Pourquoi parler des critiques ?

Déjà, parce que certaines sont légitimes, et que les connaître c’est pouvoir les accepter et faire avec.

Ensuite, parce que le monde de la pédagogie, comme tous les milieux professionnels, se transforme parfois en champ de bataille avec des rivalités fortes entre les approches. Vous pouvez tomber face à d’ardents anti-pédago par projet qui vont vous jeter dans le ring alors que vous n’avez rien demandé, et c’est toujours bien de comprendre ce qui est en jeu pour rester serein dans l’échange.

Commençons justement par là. Qui sont ces grands détracteurs de la pédagogie par projet ?

On les reconnaît assez facilement par les mots-clefs qu’ils utilisent : “données probantes”, “rendement scolaire”, “efficacité en classe”… Vous l’avez peut-être compris, ce sont généralement des cognitivistes, qui s’appuient sur le fonctionnement mécanique du cerveau pour optimiser l’apprentissage. Leur but, leur conception de l’éducation, c’est d’amener les élèves et les étudiants le plus rapidement et le plus efficacement possible vers la performance standardisée.

Ils font typiquement de l’enseignement explicite et de la gestion explicite des comportements en classe, c’est-à-dire qu’en plus de guider la manière dont les étudiants réfléchissent, ils guident aussi la manière dont les étudiants se comportent.

Et ils ont pour justifier leur approche les fameuses données probantes. Ils arrivent à prouver statistiquement que leur approche est la meilleure pour atteindre la performance standardisée via des évaluations standardisées.

Un ordinateur plein de graphs
Les stats avant tout

Et dans le fond, il n’y a pas de problème avec ça. C’est vrai que leurs méthodes sont le meilleur moyen d’arriver rapidement à ce résultat standardisé. Les statistiques vont effectivement dans leur sens.

Non, le problème de ce positionnement, ce n’est pas tant qu’il est faux, c’est qu’il est incomplet. Il pose en supériorité intellectuelle une méthode, mais sans même questionner le fond de la question.

Pour moi, en réalité, il y a trois problèmes.

Les trois problèmes de ces critiques

La vision de l’éducation

Le premier, c’est que derrière le mot éducation, on ne met pas la même chose. En pédagogie par projet, apprendre, c’est apprendre à agir dans le monde, c’est apprendre à se connaître et à s’adapter aux autres et à son environnement.

A l’inverse, quand on s’appuie sur des méthodes comme l’enseignement explicite, qui est basé sur les données probantes, on vise la transmission d’un mode de pensée historique. On veut que l’étudiant apprenne à bien faire, on juge que les gens expérimentés savent mieux que lui, et que donc l’étudiant doit apprendre à penser comme eux. Il n’y a pas de place pour l’errance, il faut que tout le monde soit le plus efficace possible.

Dans cette approche, la compréhension des émotions, l’adaptabilité, la capacité à agir en environnement inconnu ne sont pas pertinentes. Elles ne sont pas prises en compte. On ne prend en compte que les résultats standardisés, mesurables et observables. En gros, si les tests PISA ne le mesurent pas, on ne s’y intéresse pas. Je grossis à peine le trait.

Et donc c’est un dialogue de sourd, parce qu’au fond on ne vise pas les mêmes objectifs éducatifs. On ne regarde pas dans la même direction.

Seul le quantitatif compte ?

Le deuxième problème est lié à l’approche scientifique elle-même. Lorsqu’on vise les données probantes, on fait du quantitatif. On prend des comportements observables et qu’on peut facilement mettre dans une case, on prend un échantillon suffisamment grand et hop, on obtient une statistique.

Evidemment, on exclut tout ce qui est difficilement mesurable.

Par exemple, la qualité de présence d’un formateur qui fait preuve d’écoute empathique et avec qui l’apprenant se sent vu et reconnu. Et plus généralement l’expérience subjective de l’apprenant, sa manière d’être au monde.

Etudiant et son formateur
La présence du formateur est importante

Ça, ce n’est pas un biais que des cognitivistes. La majorité des scientifiques modernes considèrent l’expérience subjective, en 1ère personne, n’avait pas de valeur. Qu’elle n’était ni sérieuse, ni exploitable. On se contente du regard objectif en 3e personne, alors qu’il nous interdit de fait toutes les informations qui proviennent du fait qu’on est des corps en mouvement qui vivent et qui ressentent.

Heureusement, il y a des scientifiques pionniers comme Francisco Varela qui se sont attachés avec une grande rigueur scientifique à l’expérience subjective. Il a notamment travaillé avec des spécialistes de l’introspection et de l’expérience - des moines bouddhistes ! - pour élargir le champ de la science à la conscience.

Mais du coup, les cognitivistes se limitent à des variables observables, et ne prennent pas en compte toute la richesse et la complexité de l’humain. Un étudiant peut avoir fait un livrable moyen, mais avoir développé de nombreuses ressources personnelles pendant qu’il a fait son projet ! Les données probantes restent aveugles à ce genre de progrès.

La science en mouvement

Le troisième problème, et qui est encore plus général, c’est que la science c’est un processus, pas un résultat, et ceux qui s’arc boutent sur leur position cognitiviste semblent l’oublier. Les neuromythes d’aujourd’hui sont le consensus scientifique d’hier ! La science évolue en permanence, on ne comprend qu’une petite partie de la réalité, et il n’est pas dit qu’avec les prochaines découvertes on ne se rende pas compte qu’on avait mal interprété la nature même de ce qu’est apprendre. Restons humbles dans nos pratiques et nos assertions.

Au-delà du positionnement des cognitivistes chevronnés, il existe tout de même un argument de taille contre la pédagogie par projet, c’est la théorie de la charge cognitive.

Je vous explique rapidement cette théorie.

Une vraie critique : la théorie de la charge cognitive

Notre cerveau n’est pas très bon pour gérer beaucoup d’informations inconnues. Quand on a déjà des connaissances sur un sujet, que c’est en mémoire à long terme, pas de problème, on peut réfléchir et coordonner ces connaissances facilement. A l’inverse, quand on débarque sur un sujet, par exemple si vous ouvrez un bouquin de physique quantique alors que vous ne vous êtes pas intéressés à la physique depuis votre adolescence, vous faites face à plein d’informations inconnues. Et ça, votre cerveau est obligé de les gérer dans un tout petit sas de traitement des informations qu’on appelle la mémoire de travail.

Tristement, cette mémoire de travail est très limitée. Et si vous gérez trop d’informations en même temps, vous la surchargez, au point que vous n’arrivez plus à ancrer les connaissances. C’est ça, la surcharge cognitive. C’est quand vous réfléchissez tellement que ça vous fait mal au crâne et que vous saturez !

Et c’est vrai que la pédagogie par projet, en plongeant les apprenants dans des situations complexes, elle peut entraîner de la charge cognitive. Les apprenants peuvent être perdus et ne rien comprendre à ce qu’ils font. Et c’est vrai que si on apporte pas le bon guidage au bon moment, c’est les étudiants les plus en difficulté, ceux qui ont le moins de connaissances, qui vont en pâtir.

Etudiant surchargé d'info
Les étudiants peuvent être surchargés d'infos !

Ce n’est pas un blocage irrémédiable. Avec du guidage, de la remédiation et des interventions bien ciblées, on peut parfaitement accompagner des apprenants en difficulté à travers un projet.

Mais c’est vrai que ça complexifie un petit peu la pédagogie par projet, parce que ça demande au formateur d’être particulièrement attentif, et ça demande aux apprenants d’arriver à gérer cette surcharge cognitive quand elle arrive.

Cela dit, ce n’est rien d’insurmontable, et ça fait partie du jeu pour réussir à faire face à un monde en mouvement !

Donc la prochaine fois qu’un cognitiviste vous dit que la pédagogie par projet est une mauvaise méthode parce qu’elle crée de la charge cognitive, répondez-lui que vous prenez ça en compte dans votre guidage et que vous faites des interventions pour simplifier l’espace-problème avec vos apprenants quand c’est nécessaire !

Maintenant que vous êtes armés pour répondre aux critiques de la pédagogie par projet, il va falloir apprendre à faire face à la résistance des apprenants ! Et oui, parfois les apprenants résistent aux pédagogies actives… mais c’est un sujet pour le prochain épisode !

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Laurie Mezard

Co-fondatrice et spécialiste Pédagogie


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